Tadjikistan –  » Nous devons vendre ton enfant car nous n’avons plus d’argent. « 

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Fariza est une jolie fille de vingt-trois ans. Sa famille vit dans un village au Tadjikistan. Depuis la chute de l’empire soviétique, la famille a sombré, comme tant d’autres, dans la pauvreté, car il n’y a plus d’emploi. Fariza est la seule à travailler. Une chance pour les siens. Ce jour-là lorsque je lui rends visite, elle n’est pas encore rentrée de l’usine. C’est sa mère, Saifura, qui raconte.

Est-ce facile de trouver un mari ici car il n’y a pas beaucoup d’hommes ?

C’est difficile de trouver quelqu’un de bien, c’est pourquoi ma fille a divorcé. C’est difficile de savoir à qui on marie sa fille !

Pouvez-vous en parler ? Comment Fariza a-t-elle rencontré ce garçon ?

C’est un parent éloigné. Un jour sa grand-mère est venue et a demandé la main de ma fille. Mais il ne vivait pas avec sa grand-mère.

Quand cette femme est venue, d’abord on n’était pas d’accord pour marier notre fille à son petit-fils parce que mon mari a dit qu’on ne connaissait pas cette femme, comment peut-on savoir comment est son petit-fils ? Et l’oncle de Fariza a dit : cette vieille femme est venue dans ta maison pour demander la main de ta fille alors tu dois accepter.

Et ensuite ?

Ils n’avaient pas de maison où rester. Ils vivaient dans une maison louée avec sa mère à Douchanbe. Ils ont menti en disant qu’ils avaient leur propre maison. Ils ont menti en disant qu’ils avaient vendu leur maison à Douchanbe pour acheter une maison ici au village. Donc on a accepté. Le garçon a dit maintenant on a acheté une maison ici, on habite ici et on fera la cérémonie ici au village.

Ils sont restés au village pendant deux mois après la cérémonie dans une maison louée. Ensuite ils ont dit qu’ils n’aimaient pas cette maison, qu’ils allaient la vendre, qu’ils allaient en acheter une autre. Ils ont encore menti. Ensuite ils sont allés à Douchanbe et ils ont loué une autre maison. 

Puis ma fille est tombée enceinte et quand elle a accouché elle est venue ici, c’est la coutume, le premier enfant doit naître dans la maison des parents de la jeune accouchée. Le bébé de Fariza était un garçon.

Et ensuite la jeune mère doit rester un ou deux mois dans la maison de ses parents. Mais ils ont dit qu’ils ne la laisseraient pas chez ses parents plus de une ou deux semaines et ils l’ont ramenée à Douchanbe.

Ils ne laissaient pas Fariza aller aux cérémonies qui avaient lieu chez nous au village. Et quand elle venait, c’était toujours avec sa belle-mère et ses belles-sœurs et aussitôt elle repartait à Douchanbe. Ils ne la laissaient pas rester même un ou deux jours.

Pourquoi ?

Parce qu’ils ne voulaient pas qu’elle dise le secret à qui que ce soit (le fait qu’ils n’avaient pas de maison, ce que savait Fariza).

Et ensuite ?

Ils n’avaient même pas d’argent pour payer leur loyer à Douchanbe. Et Fariza a dû vendre ses vêtements et aussi ses bagues. Ils ont encore déménagé dans une autre maison à Douchanbe dans le quartier Leninski. Ils vivaient là et n’avaient pas d’argent pour payer le loyer alors ils ont vendu tout ce que possédait Fariza.

Que faisait son mari ?

Il ne travaillait pas. Parfois ils allaient vendre des choses sur le bazar avec son frère, juste pour acheter de quoi manger.

Et la belle-mère ?

Elle ne travaillait pas. (Par pudeur, elle ne me dit pas la vérité, elle ne sait pas que je sais : la belle-mère faisait du trafic de drogue et avait de lourdes dettes auprès de la mafia.)

Quand il n’y a plus eu d’argent dans la maison, ils ont vendu tous les tapis que Fariza avait apportés. Et quand cet argent à son tour a été épuisé, alors ils ont pensé à vendre le bébé. La belle-mère de Fariza travaillait avec ce genre de personnes, ils vendent des bébés en Amérique ou à d’autres pays. Elle avait une connexion avec ces personnes. Alors elle voulait que Fariza leur donne son bébé.

Combien ?

Quelqu’un a entendu parler du prix de cet enfant et il avait dit à mon fils qu’ils allaient le vendre cent dollars. « Ils veulent vendre le bébé de Fariza pour cent dollars ! »

Et Fariza savait ?

Oui ils lui en avaient parlé : « Nous devons vendre ton enfant car nous n’avons plus d’argent. » Mais nous n’avons pas cru ce petit garçon car il est impossible de vendre un bébé pour cent dollars. Mais Fariza est venue et nous l’a confirmé. Elle est venue avec son bébé et elle est restée là.

Comment est-elle venue ?

Elle est venue avec son mari, son mari l’a accompagnée. Il nous a dit :  » Elle ne m’écoute pas, nous lui avons demandé d’arrêter l’allaitement car si elle arrête de l’allaiter, elle n’aura plus de lait et il commencera à s’alimenter autrement parce qu’il sera sevré. Mais elle ne nous écoute pas, nous voulons ce qu’il y a de mieux pour lui, nous voulons l’envoyer dans un Kindergarten loin d’ici, c’est pour son bien mais elle ne nous écoute pas ! « 

Vous êtes mari et femme et je ne veux pas m’insérer dans vos querelles mais il ne faut pas vendre l’enfant. Tu es son mari, c’est toi qui décides. Non nous n’allons pas le vendre, nous allons l’envoyer dans un Kindergarten loin d’ici. Là-bas c’est très bien, ils prennent bien soin des enfants.

Et ensuite ?

Son mari a dit :  » Si elle ne nous écoute pas, je la laisserai et je prononcerai trois fois talak. Fariza a dit : tu peux me laisser, mais je ne laisserai jamais vendre mon fils. Je n’ai jamais eu une belle vie avec toi, je serai libre et ce sera mieux. Je ne peux pas le vendre. Je suis sa mère. Je resterai sans mari mais je ne donnerai pas mon enfant. Tu peux me laisser. « 

Ils ont discuté de ça ici ? Devant vous ?

Oui. Ils ont parlé de ça devant moi.

Et ensuite ?

Il a dit puisque c’est comme ça… et il a dit trois fois talak et est parti. Il m’a dit : je te laisse ta fille. Moi j’ai dit : « C’est ta vie, vous êtes mari et femme, je ne peux rien dire. » Si tu veux faire ça, libre à toi.

La belle-mère était là ?

Non elle n’était pas là. Après, elle a dit on peut la reprendre mais ma fille a dit : « Je ne veux plus venir avec vous. »

Qu’est-ce que vous pensez de ça ?

Je ne sais rien d’eux, j’ai simplement entendu qu’ils vont de maison en maison, qu’ils louent des maisons, c’est tout. Mais on ne sait rien d’eux.

Etes-vous en colère ?

Non nous ne savons rien d’eux, nous ne sommes pas en colère. C’est sa vie, si elle ne veut pas vivre avec eux, nous ne pouvons rien dire. Nous ne les voyons pas et ils ne nous voient pas, nous ne sommes pas en colère.

Elle va se remarier ?

Cela dépend d’elle. Parfois, des gens viennent chez nous pour demander sa main. Mais ils ont déjà une première femme. Ce sont des hommes qui viennent seuls, pas des femmes, et qui disent, on veut la prendre pour seconde épouse. Elle ne veut pas, elle dit je ne veux pas me marier avec un homme qui a déjà une épouse, je ne veux pas changer leur vie. Alors elle ne s’est pas mariée. C’est quelqu’un de cette usine. Il a dit : on aime bien ta fille, elle est très gentille, je veux l’épouser.

Cruel destin, le petit garçon de Fariza est mort de la diarrhée. Il avait un an et cinq mois.

Nombre d’enfants – et aussi d’adultes – meurent de diarrhée au Tadjikistan. Cela arrive surtout l’été, m’a-t-on dit. Quatre à cinq enfants par village… A cause de l’eau, non potable mais indispensable.

Tadjikistan – Mukhadas, 32 ans, mullah pour femmes :  » Je suis la bibi khalifa du village « 

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Mukhadas, 32 ans, est une « bibi khalifa ». Ainsi nomme-t-on, au Tadjikistan, les femmes qui exercent la fonction d’imam non officiel (et de guérisseuse). Elle habite une belle maison dans un village des environs de Douchanbe. Dans son jardin, des arbres fruitiers, des fleurs… A première vue Mukhadas a un niveau de vie convenable pour le pays.

Tu as étudié combien d’années ?

Depuis que j’ai neuf ans j’ai étudié, avec ma cousine. Nous allions chez le mullah et il nous montrait comment lire l’arabe dans les livres, il nous apprenait l’alphabet arabe. Ensuite le second livre et enfin le Coran. A seize ans ils m’ont envoyée à Andijan dans une madrassa où ils forment les mullah et les bibi khalifa. On lit, on apprend par cœur et on apprend la traduction mais on ne parle pas arabe.

Mon oncle, le frère de ma mère, était un des plus grands mullah du village. Il a servi en Afghanistan dans l’armée. A son retour il est devenu mullah parce qu’il avait vu plein de morts, il a lu plein de livres et ensuite il m’a préparée à devenir bibi khalifa aussi. Je suis restée deux ans à Andijan (Ouzbékistan) pour étudier et ensuite je suis allée étudier un an à la madrassa de Douchanbe. Et je suis devenue l’otyn (otyn oy est l’équivalent en ouzbek de bibi khalifa) de ce village.

Elle a placé une photo de son mari dans son Coran : c’est pour qu’il reste en bonne santé et qu’il devienne riche.

Tu connais tout le Coran par cœur ?

Je connais la moitié des sourates par cœur, c’est impossible de connaître tout le Coran par cœur ! Même les grands mullah ne le connaissent pas.

Moi je suis la bibi khalifa pour le village. C’est pour les femmes et le mullah c’est pour les hommes. Chaque village a son otyn, mais certaines femmes d’autres villages viennent apprendre chez moi et pas dans les madrassas parce que je lis très bien puisque j’ai étudié dans une madrassa.

Quel est ton rôle ?

Pendant le mois de Mavlud (décembre), les gens font de petites fêtes religieuses où les femmes sont entre elles et les hommes entre eux. Alors elles m’invitent pour lire les sourates et prier.

Tous les mercredis aussi elles m’invitent pour venir lire les sourates. Elles veulent toutes m’inviter car c’est pour avoir plus de bonheur dans l’année. Les hommes font cela séparément. Par exemple je me rends chaque mercredi à l’endroit où un grand saint est enterré. On y va et on prie sur sa tombe, on lui demande de nous aider. Certaines personnes ne peuvent pas aller sur sa tombe mais font de petites cérémonies chez eux et m’invitent.

C’est uniquement le mercredi. On appelle ça Mushkil kushod. Ca veut dire : rendre tes problèmes plus faciles. Je demande à Dieu de les aider. Et leurs difficultés seront résolues.

Si tu veux je peux t’emmener demain matin chez quelqu’un. Il faut que tu mettes un foulard, c’est tout. L’après midi je lirai mushkil (difficulty) kushod (get rid of). Parce que l’endroit où on va demain, il y a des hommes et des femmes. Quand tu sors, il n’y a que des femmes, des vieilles femmes, elles sont assises et elles prient. Tu entres tu donnes un somoni et elle prie et pendant qu’elle prie tu deviens débarrassée de tes problèmes. Ca veut dire que tu auras de la chance.

mukhadas-2-dsc_0214-bd.1228587969.jpgL’interprète qui m’accompagne commente : Moi je ne le croyais pas et je suis venue trois mercredis. La première fois j’ai demandé : Aide-moi, je veux trouver un travail mais je ne veux pas être assise de huit heures du matin jusqu’au soir. Je veux être libre. Oh ! Peut-être que ce n’est pas possible ! Et aujourd’hui j’ai ce travail !

La deuxième fois j’ai dit je suis amoureuse de ce garçon, je veux me marier avec lui mais il ne veut pas. Et alors il a accepté de se marier avec moi !

La troisième fois je voulais acheter une voiture neuve mais je n’arrivais pas à vendre ma vieille voiture qui ne marchait pas bien et je suis venue : Je veux changer de voiture, permets-moi de vendre cette voiture. Et je l’ai vendue en une semaine ! Alors j’ai commencé à y croire ! Avant je n’y croyais pas trop mais maintenant oui. Et maintenant dès que j’ai besoin de quelque chose je viens ici le mercredi, je prie et je l’obtiens.

Il n’y a que des vieilles femmes. Elles lisent et tu donnes un somoni et tu écoutes et alors tes vœux seront exaucés.

Que fait ton mari en Russie ?

Il fait du commerce avec la Russie. Il va et il vient. Il est venu, nous nous sommes mariés et il est reparti. Cela fait plus de dix ans qu’il fait ça. La dernière fois qu’il est venu c’était en avril. Et là il revient dans un mois (en décembre). Il restera trois ou quatre mois. D’habitude il vient pour l’hiver. Il arrive à la fin de l’automne et il repart au printemps.

Il travaillait déjà en Russie quand tu l’as rencontré ?

Oui. Ce sont nos parents qui ont arrangé le mariage. Je suis religieuse, je n’ai pas le droit de choisir.

Tu es heureuse ?

Oui maintenant je suis amoureuse et je suis heureuse. Maintenant je n’ai pas le choix de revenir en arrière. Que je l’aime bien ou pas c’est pareil. C’est le destin.

Et toi, pourquoi tu n’es pas encore mariée ? me demande-t-elle. A ses yeux c’est un grand malheur pour moi.

Si tu veux je peux prier et t’ouvrir le bonheur. Et alors tu seras bientôt mariée si tu le souhaites.

Il faut que tu viennes un mercredi. Demain je suis invitée par une famille pour lire Mushkil kushod. Si tu veux tu peux venir, je lirai Mushkil kushod aussi pour toi. Mon interprète : Et pour moi aussi !

J’accepte par curiosité.

Il faut que tu prennes du sel, le l’eau, des raisins secs mais avec la queue et une chandelle. Je prierai et j’apporterai quelque chose que l’on brûlera, je te montrerai. Tu verras demain. Tu respireras l’odeur de ce qu’on brûle et alors toutes les mauvaises choses, tous les choses noires, le mauvais œil, sortiront de toi. Avant d’aller faire la prière il faudra aussi que tu fasses ta toilette.

A mon grand regret, pour des impératifs liés à mon « vrai » reportage sur les missionnaires chrétiens, je ne pus me rendre au mushkil kushod.

Nuit soufie

nuit-soufie.1213610646.jpgNuit soufie… dont je risque d’être privée.

C’est à Paris. C’est organisé par la Cité de la musique qui a le don de créer ce genre d’événements festifs et inoubliables. Des soufis d’Egypte, du Pakistan et du Tadjikistan !

C’est le 28 juin mais c’est déjà complet !!!!

Presque envie de retourner au Caire, rien que pour retrouver l’atmosphère de ces nuits magiques et envoûtantes…

Ecoutez plutôt un zikhr… : ws_30323-nuit-du-zikhr1.1215793365.mp3

Newroz : Connaissez-vous le sumalak ?

sumalak.1212923290.jpgEn Asie centrale, pour Navruz, la fête du printemps, les familles préparent le sumalak, un met délicieux et très sucré, à l’aspect de caramel, que l’on extrait du blé après sept jours de préparation.

Il faut d’abord faire germer du blé. Faute de place, la baignoire est souvent réquisionnée pour cela. Puis les graines sont pressées pour en extraire le jus.

Ensuite l’eau blanchâtre recueillie est cuite jusqu’à obtenir une pâte crémeuse d’un beau marron. La cuisson dure 24 heures, les femmes se relayent toute la nuit pour ne pas interrompre l’opération.

C’est délicieux, plein de vitamines et cela marque la fin de l’hiver. Et pour les plus paresseux, on trouve aussi du sumalak tout prêt sur les bazars.

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Soirée projection films d’Asie centrale mardi 3 juin 20h00 à Paris

Mardi 3 juin – à partir de 20h00
Maison d’Europe et d’Orient
3 passage Hennel – Paris XII – M° Gare de Lyon

Entrée libre – Réservation : 01 40 24 00 55

Soirée Cinéma en partenariat avec le Service de coopération et d’Action culturelle de l’Ambassade de France au Kirghizstan

Sélection de six jeunes réalisateurs indépendants du Kirghizstan, Ouzbékistan, Kazakhstan et Tadjikistan.

Toptash, de Narguiza  Mamatkulova (Kirghizstan, 2007, 16’20, Version originale sous-titrée en français)
Une jeune fille atteinte d’une maladie grave décide d’aller retrouver son père qu’elle n’a jamais connu. Elle souhaite ainsi s’échapper de son quotidien d’examens médicaux et revenir vers ses racines.

Tout va bien (Vse khorosho), de Akjol Bekbolotov (Kirghizstan, 2007, 16’, Version originale sous-titrée en français)
Un jeune garçon s’est enfui de chez lui et se lie d’amitié avec un garçon des rues qui va chaque jour sur la tombe de sa mère pour lui dire que tout va bien. Difficile d’imaginer que dans les rues de Bichkek, tout va bien, lorsqu’on est sans maison et sans famille.

La Voyageuse (Poputchitsa), de Shukhrat Karimov (Ouzbékistan, 2006, 16’, russe sous-titré en français) 
Une vieille dame est assise dans un taxi, elle se rend à l’anniversaire de son fils. Seulement l’adresse qu’elle donne au chauffeur de taxi est en réalité fictive, et il commence à comprendre qu’elle n’a pas toute sa tête.

Coup au but (Odin udar), de Ruslan Pak (Ouzbékistan, 2006, 13’12, Version originale sous-titrée en français)
Que peut-on faire quand on a seulement 4 ans, qu’on ne parle pas la langue du pays et qu’on n’a pas d’amis ? On fait beaucoup d’ efforts.

Dombra, de Aydin Sakhamanov(Kazakhstan, 2007, 9’, Version originale sous-titrée en français)
L’harmonie d’une musique est donnée par un instrument, lui-même réalisé par les mains de l’homme. L’harmonie de la vie est l’œuvre du Fondateur.

Le Bonheur (Schast’e), de Alisher Khushvakhtov (Tadjikistan, 2007, 10’, russe sous-titré en français)
Ils sont vieux, ont perdu leur jeunesse, leur force et leur vivacité. Ils ne sont plus utiles à la nouvelle société… mais continuent de s’aimer tendrement et tentent de survivre malgré tout.

Femmes tadjikes à Paris

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Huit monologues de femmes, une pièce de théâtre écrite et mise en scène par Barzu Abdurazzokov – Ce lundi à Paris.

Sept femmes et un homme entrent en scène. Elles disent la violence sociale, la perte des repères traditionnels et le machisme d’une culture à la fois musulmane, persane et soviétique.

J’ai moi-même passé une journée avec des femmes tadjikes (voir la photo ci-contre). Au Tadjikistan, dans une usine à une cinquantaine de kilomètres de Douchanbe. Nous avions prévu deux heures ensemble. Mais la magie a opéré. Je pensais qu’elles préféreraient parler chacune séparément, pour des raisons d’intimité. Au contraire. Toutes avaient vécu des histoires dures, tellement dures. Cela leur permettait d’échanger leurs expériences. Pas une larme n’a été versée. Parfois, des rires fusaient. Beaucoup d’émotion surtout. J’ai écrit un reportage à ce sujet, paru dans die Welt, mais en allemand. Ah non, j’oubliais : vous pouvez en lire une version courte ici, en français : http://www.bakchich.info/article3051.html

Quand ? lundi 19 mai 2008 à 20h30

Où ? Au Théâtre de l’Opprimé – 3 passage de Hennel – Paris 12e

Tarif : 10 euros (15 euros tarif de soutien)

Informations : 01 40 24 00 55www.sildav.org (Maison d’Europe et d’Orient)

Intermezzo

daler-nazarov.1208205274.jpgEn attendant mon retour de Turquie, je vous propose d’écouter Daler Nazarov, chanteur pamirien du Tadjikistan que l’on écoute aussi en Ouzbékistan : http://fr.youtube.com/watch?v=tZaBoDvu358&feature=related

N’hésitez pas non plus à vous rendre chez mes amis Saidjon et Andreï au restaurant « La Tchaïkhana de Boukhara » 😉 (à Paris) vous pourrez aussi y entendre Daler Nazarov : http://www.resto-boukhara.com/accueil.php tout en dégustant de délicieux mantis.

Pour en savoir plus sur Daler Nazarov (source Wikipedia) :

Daler Nazarov (Тоҷикӣ: Далер Назаров)(born on September 8, 1959) is a Tajik/Pamiri composer, singer and actor. Nazarov was born in the Former Soviet Republic of Tajikistan. He has lived in Dushanbe, the capital of Tajikistan for most of his life, but had to leave the country in the early 90’s due to a civil war that ended around 1997. For the next few years he lived in Almaty, Kazakhstan and then returned to Dushanbe. Among his recent work is music for feature movies. Nazarov is of the Pamiri ethnic group and many of his songs are in Shughni language.

Ouzbékistan – Ecoutez la chamane Mayram.

 

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Un village à la frontière tadjiko-ouzbèke. Dans cette région, le chamanisme s’y pratique encore selon des méthodes préislamiques, ce qui est très rare en Asie centrale.

Dans le taxi collectif qui nous menait au village, les gens nous avaient parlé de Nazarjan, le meilleur chamane – ici on les appelle bakhshis – de la région. Un maître, disaient-ils, qui vient du Tadjikistan pour enseigner aux chamanes des environs.

Nazarjan devait venir ces jours-ci mais la frontière était restée fermée pour Navruz. Il n’avait pas dû pouvoir passer. On ne savait jamais quand il venait. On ne pouvait pas le joindre par téléphone.

Au mois de mars, dans cette région montagneuse d’Ouzbékistan, l’air est vif et piquant. La nature en fleurs, les maisons en pisée, tout était joli. Bucolique presque.

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Nous nous sommes d’abord rendus chez Mayram, une femme bakhshi, élève de Nazarjan. Lorsque nous sommes arrivés chez elle, son mari était en train de rentrer les moutons.

J’ai tout de suite éprouvé de la sympathie pour elle. Mayram est une belle femme d’une cinquantaine d’années, aux yeux rusés. Il y a dix huit ans, elle était tombée très malade. Les médecins n’avaient rien pu pour elle.

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Nazarjan avait été appelé à son chevet. Il lui avait dit si tu veux guérir il faut qu’à ton tour tu deviennes bakhshi (c’est exactement la même chose que m’avait racontée le chamane ouïgour sur la façon dont il était devenu bakhshi). Alors elle avait fait une retraite de neuf jours. Sans voir personne. Sans sortir. Puis Nazarjan lui avait appris à jouer de la doira, le tambourin des bakhshis d’Ouzbékistan – on l’appelle dap chez les Ouïgours. Cela lui avait donné une énergie phénoménale.

Mayram peut soigner les gens en jouant de la doira. Je lui ai demandé si elle voulait bien exercer son art sur moi. Mais elle m’a dit pour cela il faudrait que tu sois malade. Décidément je n’ai pas de chance avec les chamanes, ils ne veulent jamais me montrer leur art.

La nuit tombait. Elle nous a invités à dîner. Après l’avoir interrogée sur sa façon de travailler, j’ai fait une seconde tentative, je lui ai demandé de me retirer le mauvais œil.

mayram.1223410551.jpgElle a enfin attrapé sa doira et entonné un long chant. Vous remarquerez sur l’enregistrement que je m’énerve un peu car cela fait cinq fois que je lui demande de m’enlever le mauvais oeil. Elle ne répond jamais.  

Ecoutez :

ws_30053-1ere-chamane.mp3Mais là encore il s’agit d’une démonstration et non d’un vrai rituel, c’est du moins ce que j’ai compris.

Mayram nous a expliqué que c’était en jouant qu’elle ressentait ce qui se passait chez ses patients. Ce sont les esprits qui lui donnent l’information.

Après le rituel, Mayram n’avait cessé d’émettre de longs rots, suivis de soupirs. C’était comme une fatigue ou un relâchement. Pourtant elle avait dit que les rituels ne la fatiguaient pas. Elle avait ensuite prié mon ami de faire la prière qui marque la fin du repas.

Nous avons pris congé, Mayram nous a raccompagnés au bord du chemin. A l’est se profilaient de hautes montagnes. De ce côté la piste mène au Tadjikistan, qui se trouve à cinq cents mètres à peine. C’est par là que passe Nazarjan quand il vient. Il habite à quatre kilomètres de la frontière.

Mayram m’a transmis des vœux pour mes parents. C’est la coutume en Asie centrale (les Kurdes aussi font la même chose). Puis nous sommes redescendus vers le village. Il faisait nuit noire.

Pour plus d’informations sur le chamanisme en Ouzbékistan, on se référera aux travaux de Thierry Zarcone, Patrick Garrone ou encore Habiba Fathi.

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Situation dramatique au Tadjikistan

kulab-kt-1-dsc_0176.1202564825.jpgExtrait d’une lettre reçue aujourd’hui de mon amie Shakhnoza qui vit à Dushambe :

« … In Dushanbe it is really, really cold. It is already the second month that the temperature doesn’t go higher than +3; during day time it is sometimes -6-10, in the night we have from -12 to -25. And endless incredible snow, snow, snow… This is the first time over the last 80 years that the winter is so cold and so long! But the worst thing is that there in NO electricity, NO gas most of the time, and even NO water because all pipes and rivers are frozen, and pumps are not functioning due to power shortage. So the full picture of nowadays crisis is really bad; The inner temperature in houses is so low that people never take off their coats, and babies are never taken out of cradles.

Starting from yesterday, the government introduced more deep cuts off: now even Dushanbe is in a blackout for more than 15 hours a day everywhere with almost no exceptions, whereas the regions do not have it at all. The electricity is given for 4 hours early morning and 4-5 hours in the evening; if you manage to heat your room within those 4-5 hours, then after 1 hour of cut off the warm is already gone, and you are freezing again. Those who have generators are in a better situation, but overwhelming majority is suffering… Struggle for existence – this is what is happening in Tajikistan right now. No improvement is foreseen in near future, because there is no water in Nurek, the main water reservoir for electro-power station. All rivers refilling it are frozen, and it is only 3 meters of water left for critical point, after which there will be TOTAL humanitarian catastrophe…
As for us, we are cold, cold, cold… I am not sure how long I will be able to stand it – but my moral constrain is that I cannot leave before closing the mission! … »

Crise alimentaire au Tadjikistan

rachmonov.1202549571.jpgSur cette affiche électorale qui a plus d’un an, Rachmonov, le président, promet du pain pour tout le monde.

Mon amie Shakhnoza, chef de mission d’une ONG à Duchanbe me transmet cet article :

Tajikistan ‘facing catastrophe’
by Natalia Antelava
BBC News, Dushanbe

Tens of thousands in Tajikistan are already malnourished
Tajikistan is in the grip of emergency food shortages, the UN’s World Food Programme is warning.
The deteriorating food situation is part of the energy crisis which hit the mountainous nation in the middle of its coldest winter for five decades.
The cost of food has tripled in recent months, partially because of rising world prices.
Some humanitarian agencies claim Central Asia’s poorest nation is heading towards catastrophe.
It’s well below zero in Tajikistan, but most people have no electricity, no heating and now, increasingly, many don’t have enough food either.
One family in the village of Sagdyan, outside the capital Dushanbe, said their four children were surviving on milk and rice. Their next door neighbours could not afford even that.
One meal a day
Zlatan Milisic, the country director for the World Food Programme in Tajikistan, says it’s not just the rural population that’s being affected, but people in the cities too.
« We are seeing more and more people who are eating just one meal a day. And we only expect the food situation to deteriorate. This is already a real emergency, » said Mr Milisic.
He added additional funding was urgently needed to assist the people.
Even at the best of times, tens of thousands of people are malnourished.
But this winter is affecting a huge proportion of the population. People are spending all they have on trying to keep warm.
And the worst is still to come – Tajikistan is currently using up its last energy resources, and it may face a total blackout.