Sylvie Lasserre a interviewé un Ouzbek d’Osh qui souhaite rester anonyme. Juillet 2010
Quelle est la situation aujourd’hui ? Les Ouzbeks qui ont fui Osh lors des événements sont-ils tous rentrés ?
Tous les Ouzbeks réfugiés en Ouzbékistan ont été renvoyés de force au Kirghizistan pour participer au référendum… Sans Ouzbeks, le gouvernement d’Otunbaeva n’aurait pu être validé. Mais il reste encore quelques blessés graves dans les hôpitaux à Andijan, une cinquantaine de personnes environ. Par ailleurs, selon RFI/Radio Liberty, quelques centaines d’Ouzbeks seraient restés chez des proches en Ouzbékistan…
Les Ouzbeks rentrés à Osh vivent dans des tentes distribuées par les organisations humanitaires. Mais la mairie a pris le contrôle de l’aide humanitaire qu’elle redistribue en la faisant payer. Les Ouzbeks ont dû acheter les tentes entre 20 et 2000 dollars ! Je crois que les ONGs ne sont pas au courant.
Des Ouzbeks ont commencé à nettoyer et reconstruire leurs maisons. Mais dans le centre d’Osh, la mairie a interdit la reconstruction car elle veut construire des immeubles pour les Kirghiz… En ce moment la mairie et le gouvernement kirghiz commencent à travailler sur le nouveau plan d’urbanisation d’Osh et Jalalabad.
J’ai été très surprise quand j’ai entendu parler d’arrestations… d’Ouzbeks ! Comme si le gouvernement voulait maintenant faire passer la faute des pogroms sur les Ouzbeks ! Que se passe-t-il ?
Les arrestations ont lieu dans les villages et les quartiers ouzbeks qui n’ont pas été très touchés. Pour les punir de s’être bien défendus.
Actuellement il y a un couvre-feu de 22h00 à 5h00 le matin. Les policiers et les soldats pénètrent dans les quartiers et les maisons des Ouzbeks et arrêtent les hommes. Cela se passe la nuit durant le couvre-feu puisque les Ouzbeks sont chez eux.
Chaque nuit ont lieu des arrestations. Mes parents ne veulent pas sortir, pendant la journée non plus, ils ont peur. Ils ont peur d’allumer la lumière pendant la nuit… pas de télévision… rien. Seulement dormir et espérer en dieu.
Au début, ils ont commencé par arrêter quelques personnes et ont ainsi pu obtenir des informations, notamment concernant les riches des quartiers ouzbeks. Ils enlèvent le fils ou le chef de famille puis demandent une rançon.
Roza Otunbaeva ne peut rien faire. Elle garde le silence. Si elle commence à punir les Kirghiz de leurs crimes, ils pourraient se révolter.
Avez-vous une idée du nombre d’arrestations ?
Le nombre exact des arrestations n’est pas connu mais des amis ouzbeks sont allés près de la prison centrale d’Osh, ils ont compté les femmes qui portaient à manger. Au total on estime qu’il y a près de 1000 prisonniers. En comptant aussi les prisonniers des régions majoritairement ouzbèkes, on atteint le chiffre de deux mille prisonniers… Ce sont des hommes, jeunes.
Il y a trois semaines, une de mes connaissances a été arrêtée. Il se trouvait avec ses amis dans un taxi dans la journée. Un soldat lui a demandé : Ouzbek ? Ouzbek ? Il a répondu oui. C’est tout. Il a passé deux semaines dans le sous sol du bâtiment de la police centrale à Osh, maintenant il est dans la prison centrale d’Osh. Il a été torturé. Son élocution est difficile, on pense que ses dents sont cassées… C’est étonnant mais il a pu garder son téléphone portable. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être il y a des écoutes. Son procès doit avoir lieu en août. Ils attendent peut-être qu’il paye.
Comprend-on un peu mieux aujourd’hui la genèse des événements, qui a organisé les massacres ?
Ce sont les clans politiques du sud. Historiquement il y a les Kirghiz du sud et les Kirghiz du nord. A l’époque de l’union soviétique déjà, le gouvernement alternait tous les 5 ans, un chef du gouvernement kirghiz du sud puis un chef du gouvernement du nord. Akaev, le premier président du Kirghzistan, était du nord, puis Bakiev, le deuxième était du sud. Maintenant Otunbaeva est du nord – son père est de Talas. C’est une guerre politique et il est certain que cela a été organisé par Azim Beknazarov, un ex-procureur de l’état kirghiz leader du parti nationaliste Assaba, originaire de Jalalabad, Adakhan Madumarov et Temirbek Sariev, un des candidats à la présidentielle. Cela n’a rien à voir avec Bakiev. C’est une guerre pour le pouvoir de politiciens du Sud.
Mais Bakiev aussi est du sud !
Oui mais il n’a rien à voir. Ils veulent devenir président, ils ne soutiennent pas Bakiev, qui est déjà parti, c’est fini pour lui. Maintenant ils veulent le pouvoir, ou sinon diviser le pays en deux. Il y a quelques jours, Beknazarov a déclaré officiellement dans une conférence de presse que la capitale du Kirghizistan devait se déplacer à Osh. Et le maire de Osh aussi.
Et les forces, les snippers… qui est derrière ?
Le chef du SNB, le KGB kirghiz, a officiellement déclaré dans les journaux populaires qu’il n’y a pas eu de snippers ni de mercenaires, c’est un mythe.
Alors qui étaient ces gens qui tiraient sur les civils ouzbeks ?
Ce sont les gens de Tashiev surtout, et aussi les supporters de Beknazarov. Le 10 juin, le fils aîné de Beknazarov, Ruslan, est venu de Bichkek à Osh pour organiser et prendre la tête des opérations. Ils ont fait appel à de simples Kirghiz de la région de Jalalabad, Naryn, Talas, Batken…
En avril lors du coup d’Etat à Bichkek, Beknazarov et Tashiev ont volé deux millions de dollars dans le budget de l’Etat kirghiz. Ils ont ensuite déclaré que c’était pour une opération spéciale. C’était pour financer cette opération !
Comment voyez-vous l’avenir des Ouzbeks du Kirghizistan?
Les soldats, militaires sont restés à Osh pour terroriser les Ouzbeks. Ils veulent les forcer à quitter le pays. Vers la Russie notamment, parce que c’est simple pour eux d’obtenir la citoyenneté russe. En trois mois, on peut l’obtenir. Et ils veulent aussi chasser les Ouzbeks du centre d’Osh, de Jalalabad et des villages… Depuis le génocide les institutions ont commencé à renvoyer les Ouzbeks. Ils ne veulent pas que les Ouzbeks reprennent leurs activités ni leurs affaires dans le centre-ville. Ce n’est pas simple, ils n’ont plus de travail.
Mais les Ouzbeks n’ont pas le choix, c’est leur pays, ils vivent ici depuis toujours, ils veulent rester et se défendre jusqu’à la mort.