Cher lecteur, une fois n’est pas coutûme, je vous propose une série d’articles que j’ai écrits en février 2003 après avoir effectué une enquête passionante sur les tsunamis. A l’époque, le tsunami d’Asie du Sud de Noël 2004 n’avait pas eu lieu, et personne ne parlait encore d’alerte au tsunami, même si elles existaient déjà. A la suite du tsunami de 2004, j’appelai le centre d’alerte de Tahiti : Personne n’avait alerté la Thaïlande ! Pourquoi l’alerte n’avait-t-elle pas été donnée ? Voici ce qui m’avait été répondu : cela ne faisait pas partie de leurs attributions… Et en Asie du Sud, les systèmes d’alertes fonctionnaient bien, mais dans des bureaux restés vides…
Février 2003.
1er avril 1946. Unimak, aux îles Aléoutiennes, Alaska. La vague monte à 42 mètres et envahit la falaise. Il est une heure du matin, heure locale. Elle pulvérise le phare en béton armé et tue les cinq garde-côtes qui l’occupent. Six heures plus tard, elle surprend la population à Hawaii. Il est sept heures du matin. On dénombre 165 victimes dans la baie d’Hilo. Puis elle poursuit sa route et provoque des dégâts aux Marquises, sur l’île de Pâques et jusqu’au Chili avant d’aller mourir sur l’île Robinson Crusoé, à environ 700 kilomètres des côtes chiliennes.
A Tahiti, la population assiste à un spectacle stupéfiant : la baie de Matavai se vide et les coraux apparaissent à découvert sur une grande distance. Personne n’avait jamais rien vu de tel, mais chacun sait qu’un important retrait de la mer annonce l’imminence d’un tsunami. Les parents se précipitent à l’école située en bord de mer pour récupérer leurs enfants. Quelques minutes après, l’école est submergée par la lame. Tout le monde est sauvé. Ce tsunami est l’un des deux dits » catastrophiques » du siècle, avec celui de mai 1960.
Que s’est-il passé cette nuit là ? Il y aurait eu un séisme le long de la fosse tectonique des Aléoutiennes, une zone de subduction classique où la plaque Pacifique s’enfile sous la plaque Nord-américaine. » Le phénomène initial fut un déplacement de dix à quinze mètres de la faille sous-marine. Une superficie énorme : 400 kilomètres sur 200 « , explique François Schindelé, du CEA. Puis ce séisme aurait déclenché un effondrement sous-marin, ce qui expliquerait les effets dévastateurs alentour.
En 2001, Emile Okal, professeur à la North Western University, Costas Synolakis, directeur du Tsunami Research Center de l’Université de South California, et Gorge Plafker un expert de la géologie de l’Alaska de l’US Geological Survey, partent en mission à Unimak pour faire une reconstitution du cataclysme. Un véritable travail de détective. » Depuis l’hélicoptère, nous avons vu d’énormes troncs d’arbres morts déposés sur la falaise. Or il ne pousse que des buissons sur ces îles au climat très rude « , relate Emile Okal. Les chercheurs parviennent à cartographier, sur une distance de 80 kilomètres, une ligne de débris de ces souches. Ils retrouvent également les rapports d’une station radio. » Sur la terrasse, il y avait une station radio un peu plus haut, à 42 mètres d’altitude. Les garde-côtes ont été inondés mais ont survécu. Ils ont établi des rapports que nous avons analysés. » C’est ainsi que les géologues parviennent à dessiner la carte d’inondation des îles Aléoutiennes, 55 ans après la catastrophe. Les chiffres sont à peine croyables : la vague est montée à 46 mètres d’altitude par endroits et a pénétré à deux kilomètres à l’intérieur des terres.
Un an plus tôt, Emile Okal, Costas Synolakis et des chercheurs du CEA se sont rendus à des milliers de kilomètres plus au Sud, aux Marquises, sur l’île de Pâques et l’île Robinson Crusoé. Il s’agissait là encore, à partir de témoignages et d’observations, d’établir une carte de la pénétration de la vague sur ces îles. Objectif : valider et affiner leurs modèles de simulation. » Nous avons interviewé toutes les personnes âgées que nous pouvions trouver « , relate Emile Okal. A Hiva Oa, l’adjointe au maire d’un petit village leur raconte : » Les sacs de farine de l’épicerie que tenait mon père ont été emportés. Nous en avons retrouvé un sur la tombe d’une vieille tante au cimetière. » Ce type d’anecdote fournit des indications précieuses. Les chercheurs établissent ainsi que la vague a atteint huit mètres aux Marquises et qu’elle a pénétré à 1400 mètres à l’intérieur des terres dans une vallée d’Hiva Oa.
De tels tsunamis, traversant le Pacifique et inondant la Polynésie française, se produisent environ tous les 60 ans. Les Polynésiens peuvent donc se transmettre à travers les générations le » tai toko « , l’alerte à la vague. Ils reconnaissent au retrait de la mer le signe de l’arrivée d’un raz de marée et montent se réfugier vers les collines.