
Une couronne mortuaire en cadeau pour la fête des femmes et une tête de chien décapité dans son jardin. Irina Petrushova, rédactrice en chef de Respublika, un journal d’opposition kazakhstanais dont le siège se trouve à Almaty, n’a pas baissé les bras pour autant.
Mais aujourd’hui elle est recherchée par Interpol kazakhstan et a dû s’exiler à Londres pour poursuivre sa mission ; son adjointe, Oxana Makushina, vit toujours à Almaty.
Rencontre :
Elles sont souriantes, simples, sans le moindre brin d’arrogance. Ces deux femmes rédactrices en chef d’un journal d’opposition au Kazakhstan, Respublika, poursuivent leur courageux combat depuis dix ans malgré les intimidations et les menaces.
« Nous sommes sur le marché des médias depuis dix ans et depuis dix ans nous faisons l’objet d’une attention soutenue de la part du gouvernement en place. Depuis dix ans nous subissons une alternance de périodes relativement calmes et de périodes de pressions très fortes de la part du gouvernement, durant lesquelles nous avons dû affronter plusieurs procès.
Quand nous avons fondé notre journal, nous n’avons pu travailler qu’un an et demi comme un journal normal, avec des encarts publicitaires, etc. Ensuite la situation s’est dégradée.
La crise politique de la fin 2001 s’est soldée par la création du mouvement politique « Le Choix Démocratique du Kazakhstan », l’un des principaux partis d’opposition du Kazakhstan, qui regroupait en son sein toutes les forces d’opposition du Kazakhstan, et a vu adhérer non seulement la société civile mais aussi des hommes politiques, de grands hommes d’affaires, des banquiers…
Nous, en tant que journal indépendant et journalistes et personnes qui voulions améliorer la situation dans le pays, nous avons soutenu ce mouvement, nous en avons été le support d’information, et c’est ce qui nous a créé les premiers problèmes.
Par exemple durant les six premiers mois de 2002, nous avons reçu une visite de la police fiscale. Ils nous ont confisqué tous nos documents et ne nous les ont jamais rendus. Ils n’ont dressé aucune liste des pièces confisquées, ils sont venus, ils ont ramassé tous les documents, le matériel, et ils sont partis.
Au mois de mars 2002, les imprimeurs ont reçu l’ordre de ne plus nous imprimer.
Puis le Ministère de l’information a commencé à nous reprocher qu’il manquait des informations dans l’ours, que ce n’était pas présenté dans le bon ordre, ou que nos sources d’information ne sont pas fiables…
Ca n’a jamais été une cause de mise en examen mais ça a été un prétexte pour induire quelques poursuites à notre encontre. Et donc ils ont engagé ces poursuites judiciaires contre nous pour nous empêcher de rendre compte des procès engagés à l’encontre des dirigeants du mouvement politique que nous soutenions.
Toujours en 2002, pour nous faire encore plus peur, on a fait une pression psychologique sur nous. Notamment Irina, la rédactrice en chef, a reçu une couronne mortuaire à son domicile à son nom pour la journée internationale de la femme le 8 mars.
Ensuite au mois de mai 2002 sur les grilles qui protègent les fenêtres du siège du journal, pendant un week-end on a suspendu un cadavre de chien sans tête et la tête a été jetée dans le jardin de sa maison. Et le chien a été pendu le jour anniversaire de la création du journal.
Nous avons fondé le journal le 18 mai 2001, donc c’était le premier anniversaire. Une sorte de cadeau. Il y avait une lettre agrafée avec un tournevis planté dans le corps du chien et il y avait écrit sur la lettre : il n’y aura pas de second avertissement.
Nous avons signalé cela lors d’une conférence de presse et deux jours plus tard notre rédaction aété incendiée. C’était un incendie criminel.
Vers cette date là, le tribunal a ordonné la fermeture du journal. Pour infractions administratives officiellement. Comme nous avions prévu cela, nous avions déjà enregistré d’autres journaux, sous d’autres titres, contenant le même mot. Mais pendant deux mois nous avons du être publiés sans licence, sans enregistrement officiel. Nous imprimions sur les grosses imprimantes de bureau. Et nous diffusions par le réseau des kiosques privés. Les kiosques d’Etat ne nous acceptaient pas.
Ce journal se evndait très bien dans les kiosques privés. Nous sommes un journal d’analyse économique et politique. A l’époque nous diffusions près de 15000 exemplaires (en 2002). Nous avons tout de suite orienté notre journal vers les élites cultivées, les fonctionnaires, et les hommes d’affaire de moyennes et grandes entreprises. C’est un peu l’équivalent du Financial Times pour les Britanniques, avec un peu plus de contenu politique.
Nous n’avons jamais modifié notre stratégie éditoriale. Au moment où nous avons commencé à paraître, le marché des médias était très limité au Kazakhstan. Il n’existait aucun journal d’analyse. Nous avons été les premiers c’est pour cela que nous avons gagné l’estime des hommes influents du pays. Et c’est pour cela aussi que notre journal a toujours été surveillé de très près.
On essayait de nous éliminer non seulement parce que nous soutenions l’opposition, mais aussi parce que nous exercions une très grande influence sur les décideurs du pays à cette époque-là. Parce que nous nous sommes permis de critiquer le gouvernement, le cabinet du président et le parlement.
Depuis dix ans le slogan de notre journal c’est : « Pas tout le monde nous aime mais tout le monde nous lit. »
En réalité nous avons été confrontés aux premiers problèmes dès l’automne 2001. Le gendre du président, Rahat Aliev, a exigé que je lui remette le portefeuille de contrôle de mon journal. Il voulait prendre le contrôle de notre journal et exigeait que je lui remette (gratuitement) la majorité des parts. Parce que la famille du président voulait contrôler notre journal.
Ils voulaient que l’on écrive ce qu’ils voulaient que l’on écrive pour influencer la société civile. Et c’est quand j’ai refusé de le faire que nous avons commencé à avoir des soucis. Et à l’époque nous ne pouvions pas imaginer que l’on incendierait notre rédaction, que l’on suspendrait des chiens tués à nos fenêtres.
Mais j’avais appris que plusieurs procédures en justice avaient été entamées à mon encontre. Des personnes qui nous soutenaient au parlement ou parmi l’administration du président nous avaient dit en off qu’il fallait nous attendre à être fermés. Voilà pourquoi nous avions prévu d’autres solutions en enregistrant d’autres titres de journaux.
Nous avons été soutenues par des personnes influentes des régions différentes de notre pays. Et entre 2002, quand Respublika a été fermé, jusqu’à 2007, nous avons paru sous plusieurs titres différents, nous en changions régulièrement. Une fois on a même pu paraître sous un titre une seule fois. Un seul numéro. Tout de suite après on a été fermés. En 2004 nous avons à nouveau pu enregistrer une licence avec le mot respublika dans le titre, et cela a été possible parce que le ministre de l’information a changé et c’est un des opposants, bizarrement, qui a pris sa place. Et on en a profité pour enregistrer plusieurs licenses avec le mot république dans le titre. Parce qu’en général, enregistrer un journal chez nous est extrêmement difficile. Dès le mois de septembre 2004 nous avons recommencé à paraître avec le mot respublika dans le titre mais on nous fermait régulièrement également.
Le 11 septembre 2002 a été la dernière impression du journal au format journal normal. Ensuite nous imprimions nous-mêmes dans nos locaux sur nosimprimantes.
Et nous avons aussi commencé à paraître dès le 7 juin 2002 sous d’autres titres dont le premier de la liste : « l’économie, les finances, les marchés », et ces titres suivants pouvaient être à nouveau imprimés par des imprimeurs.
Mais tout le monde nous reconnaissait et les gens continuaient à demander dans les kiosques la Respublika. Car nous avons toujours essayé de conserver le même design reconnaissable, la même mise en page, la même présentation. Là par exemple, si vous remarquez, ce n’est pas la Respublika, c’est « La voix de la république » (elle me montre un exemplaire au format A3 agrafé).
En 2007 nous avons connu une période d’accalmie. Nous avons pu attirer à nouveau des entreprises publicitaires pour placer des encarts sur nos pages.
Actuellement, le plus gros problème que nous n’arrivons pas à résoudre c’est le problème des imprimeurs. Depuis le 18 septembre 2009, aucun imprimeur n’accepte de nous imprimer sous aucun titre. Cela fera six mois. Alors on reparaît sous le format A3 imprimé et agrafé à la main. C’est nous qui avons trouvé cette solution.
Un exemplaire coûte presque 50 tenge, un quart d’euros. Et on imprime 19000 exemplaires. Et le grand format juste avant la fermeture c’était 25000 exemplaires.
La semaine dernière nous avons eu une illustration flagrante du motif de refus des imprimeurs. Nous avons trouvé un imprimeur qui acceptait de nous imprimer en grand format dans la ville de Karaganda. Deux heures après le début de la vente du journal, le directeur a été appelé auprès des autorités locales et on lui a dit qu’ils avaient reçu un appel direct d’Astana lui ordonnant d’arrêter de prendre des commandes chez nous sous peine de perdre son business. Et bien évidemment il a refusé de nous imprimer à nouveau et nous avons dû recommencer à paraître avec nos tirages et nos agrafes.
Financièrement nous arrivons à tenir, non pas parce que nous sommes rentables, car nous avons perdu tous les contrats publicitaires, nous tenons grâce à des sponsors qui nous soutiennent. Ce sont des représentants de l’opposition, des représentants du monde des affaires.
Qui est derrière tout cela ?
Ce sont des personnes du comité de sécurité de l’Etat, nous le saovns de source sûre. Eux disent que ce sont des voyous…
C’est directement Nazarbaev qui est derrière ?
Nazarbaev ! Exact ! Oui !
Y a-t-il eu des tentatives d’atteinte à la vie des journalistes ?
Directement personne n’est jamais venu pour nous dire, nous vous tuerons si vous écrivez quelque chose dans ce journal. Mais les journalistes de la rédaction sont tout le temps suivis par des véhicules, des personnes… donc nous sommes obligés de recourir à des mesures de sécurité très poussées. Nos journalistes sont tous raccompagnés de la rédaction à leur domicile en voiture et sont ramassés tous les matins par les voitures qui les amènent directement à la rédaction. Nous essayons au maximum de limiter les risques de déplacement, d’éviter des provocations.
Tous les agissements envers notre rédaction, la version officielle est que ce sont des voyous qui s’amusent. Le chien a été suspendu par des voyous ! L’incendie de nos locaux c’étaient des voyous ! Donc nous protégeons notre équipe contre les voyous !
Oxana, vous vivez à Almaty, vous n’avez pas de problèmes ?
Les problèmes directs je n’en ai pas. Il y eu une période où l’on faisait des pressions sur ma famille, notamment mon mari on lui a dit directement : soit c’est ta femme qui travaille au journal, soit c’est toi qui perds ton poste. Et nous avons pu trouver un compromis et je ne signe pas de mon nom, j’écris mes articles sous un pseudonyme pour qu’il n’ait pas de soucis à son travail.
Irina, à quelle date avez-vous quitté Almaty ?
En 2002. Après la fin du premier procès et avant le début du deuxième procès. Parce que quand j’ai su que quoi que je dise l’issue serait la même, je serais emprisonnée… Actuellement je peux rentrer dans le pays. Mais si je rentre je ne le quitterai plus. Il y a même un certain danger : si je vais au Kirghizistan ou dans les pays voisins je serai aussi arrêtée car je suis enregistrée par Interpol kazakh comme personne recherchée, tous les pays non démocratiques peuvent m’arrêter.
Propos recueillis en février 2010, le Kazakhstan préside l’OSCE en 2010…