Demain. Comme ça. Pour essayer. Juste demain… Par empathie. Par curiosité.
Mais pourrai-je tenir une journée sans boire ? Je tente de me rassurer : d’autres le font bien.
Cette drôle de décision vient de me prendre ce soir, à l’improviste. L’idée m’en était déjà venue, deux ou trois fois, puis s’en était allée.
Et là, ce soir, à la veille du début du jeûne… Comme par hasard, elle est revenue.
Chorsu bozor (Tashkent), vendeurs de Nisholda – Photo copyright Sylvie Lasserre
Je repense à Matteo, un ami cher, qui m’avait raconté avoir essayé un jour, juste un jour, par curiosité et compassion pour une amie algérienne. » C’est vraiment dur tu sais, je n’imaginais pas à ce point… »
Aujourd’hui, au téléphone, j’ai souhaité à Alisher » bon courage pour demain « . Je ne savais pas encore que moi aussi demain… Enfin…
En Asie centrale, on dit ramazan. Ramazan est aussi un prénom. Je me suis très souvent trouvée en Asie centrale durant le ramadan. Ces dernières années c’était à l’automne. Epoque pleine de charme, surtout au crépuscule lorsque l’on se presse pour rentrer fêter Iftar, la rupture du jeûne. Lorsque s’empressent les vendeurs de nans derrière leurs landaus et que la fumée des shashliks emplit l’air.
Alors, partout l’on trouve du » Nisholda « , cette crème blanche et compacte vendue à la louche à tous les coins de rue : du sucre et des blancs d’oeufs.
A la tombée de la nuit, chacun s’en fait emplir une pochette en plastique qu’il emporte bien vite chez lui où on l’attend pour rompre le jeûne.
Les Catholiques ont perdu cette tradition de jeûne. Ma grand-mère, je me souviens, nous servait toujours du poisson le vendredi lorsque nous lui rendions visite pour les vacances. Pour le Carême aussi, il fallait » faire maigre » nous disait-elle. Je me rappelle encore ses tomates à l’ail et au persil, si succulentes… Cuites au beurre, pour nous, ses petites-filles – car le beurre c’est du gras – mais elle insistait : pas de viande ! C’était en Provence.
Qui songe encore à faire maigre aujourd’hui, chez les Catholiques ?
Et puis, au Caire, j’avais été grandement étonnée par une amie copte (les Coptes sont les Chrétiens d’Egypte). Bizarrement, elle refusait toujours mes invitations à déjeuner, me disant qu’elle ne pouvait se libérer que le soir. Un jour, elle avait fini par m’avouer qu’elle jeûnait. C’était avant Pâques. Son jeûne durait quarante jours. Un jeûne plus long que celui du ramadan ! Ce qui m’avait le plus surpris, c’est qu’elle s’en cachait, comme si elle en avait honte.
Matteo, qui vivait au Caire à l’époque, m’avait avertie : tu sais, les Coptes, ils sont pires que les Musulmans ! Ils jeûnent un tiers de l’année au total !
Mais revenons à nos moutons… : Puissé-je tenir au moins un jour pour le ramadan…
Demain, il faudra se réveiller de bonne heure. Le soleil se lève à 6h50…
Au fait, à quelle heure se couche le soleil demain ?
PS . En Turquie on attend l’iftar avec grande impatience. Là où j’ai ma maison, c’est un coup de canon qui annonce la rupture du jeûne. La tension est palpable peu avant l’iftar dans toute la ville. Les retardataires se pressent de rentrer chez eux. Les enfants impatients s’amusent et crient : » boum ! boum ! » Mais rien ne vient.
Alors, quand le canon détonne enfin, ce sont des cris de joie, puis le silence envahit la ville. L’on mange enfin.