Mardi 2 juillet 2019

Alors que mon ouvrage Voyage au pays des Ouïghours était épuisé depuis longtemps et que l’éditeur n’existe plus, je suis heureuse de vous annoncer qu’il reparaît chez Bookelis chez qui vous pourrez désormais vous le procurer si vous ne l’avez pas déjà lu : Voyage au pays des Ouïghours
Lire un extrait :
« Quand la sunay [1] entonne sa gaie mélopée et le naghra [2] se met à vibrer, une clameur s’élève dans la foule amassée devant la mosquée jaune. Regroupés au bas des marches, une cinquantaine de gamins lèvent la tête et crient joyeusement vers les trois musiciens juchés sur le bord du toit de la mosquée : « Samâ ! Samâ ! » Sifflets et joyeuses interjections ravissent l’atmosphère. Mais ce n’est pas encore le samâ, c’est une autre mélodie. Alors les gamins hurlent de plus belle : « Samâ ! Samâ ! Samâ ! » Les musiciens se font attendre, chauffent l’ambiance. Alors, en chœur, les garçonnets scandent : « Un ! Deux ! Trois ! Samâ ! » Les musiciens ne se décident toujours pas.Samâaaaaa !!!!! Autour d’eux, le parvis est noir de monde. Chacun attend fiévreusement le samâ. Les musiciens poursuivent leur mélopée monotone, la foule se fait de plus en plus impatiente. Des curieux s’adressent à Dilraba : Qui suis-je, que fais-je… Les traîtres espions sont partout, souvent sous des dehors très anodins. Il faut même se méfier des clochards paraît-il. Soudain le rythme change, c’est la mélodie du samâ. On nous fait signe de faire de la place et c’est parti ! Un enfant lance les bras en l’air et entame la danse. Ses camarades le suivent. Ils sont cinq ou six à peine. Un petit cercle s’ébauche. Les jeunes danseurs frappent des mains et poussent des « Han ! » « Houey ! » pour se donner de l’entrain. Peu à peu le cercle grandit. Un à un les danseurs entrent dans la ronde qui s’élargit toujours plus. Le soleil darde ses rayons, les abeilles collantes de septembre sont de la partie. Un touriste chinois, de Pékin sans doute, se joint à la danse et tente d’apprendre. Un vieil Ouïghour s’approche et lui montre.Sans doute abusé par le châle fleuri que je porte, un homme me demande si je viens d’Ouzbékistan. Je lui dis que non, de France et il s’éloigne, satisfait. Les Ouïghours, comme souvent les habitants d’Asie centrale, sont très curieux. Au Turkestan, on n’hésite pas à aborder l’étranger pour le questionner, sans arrière-pensée, juste pour le plaisir.Par moments le samâ est ponctué de grands « Han ! » scandés par les danseurs. Tentatives pour parvenir à l’extase ? Mais la transe ne sera pas au rendez-vous.Aucune femme dans la ronde. Les hommes dansent, les femmes regardent. Un jeune Chinois à l’allure très citadine se risque à son tour et entre dans le cercle. Il tente d’apprendre. Pataud au début, il capte enfin la bonne gestuelle. Assez grand, plutôt beau, il a de l’allure avec son béret, ses savates locales, son ample pardessus beige et sa besace jetée sur l’épaule. Tout le monde le regarde. Amusement général. Dilraba et moi en profitons pour échanger nos commentaires sur les danseurs.Une femme vient d’entrer dans la danse. Elle paraît folle. Une mendiante ? Afin d’élargir le cercle, les danseurs repoussent de leurs bras, qu’ils jettent d’un côté puis de l’autre tout en dansant, les spectateurs agglutinés trop près. Tandis qu’ils dégagent ainsi de la place, je ressens chez certains des plus jeunes, aux mouvements de leurs bras, à la fierté impassible qu’affiche leur visage, à la façon aussi dont ils écartent les badauds, une agressivité contenue. Certainement une manière de revendiquer leur culture, mine de rien, ce qu’ils n’ont jamais l’occasion de faire autrement. »
[1] Instrument à vent en bois.
[2] Instrument à percussion métallique.